Je pense bien, que ta magnificence,
Souverain Roy, croyra, que mon absence
Vient par sentir la coulpe, qui me poingt
D'aulcun meffaict: mais ce n'est pas le
poinct.
Je ne me sens du nombre des coulpables:
Mais je sçay tant de juges corrompables
Dedans Paris, que par pecune prinse,
Ou par amys, ou par leur entreprinse,
Ou en faveur, & charité piteuse
De quelcque belle humble solliciteuse,
Ilz saulveront la vie orde, & immunde
Du plus meschant, & criminel du monde:
Et au rebours, par faulte de pecune,
Ou de support, ou par quelcque rancune,
Aux innocents ilz sont tant inhumains
Que content suis ne tomber en leurs
mains.
Non pas, que touts je les mecte en ung
compte:
Mais la grand' part la meilleure
surmonte.
Et tel merite y estre authorisé,
20 Dont le conseil n'est ouy, ne prisé.
Suyvant propos, trop me sont ennemys
Pour leur Enfer, que par escript j'ay
mys,
Où quelcque peu de leurs tours je
descoeuvre:
Là me veult on grand mal pour petit
oeuvre.
Mais je leur suis encor plus odieux,
Dont je l'osay lire devant les yeulx
Tant clair voyants de ta majesté haulte,
Qui a pouvoir de refformer leur faulte.
Brief, par effect, voyre par foys
diverses
Ont declairé leurs vouluntés perverses
Encontre moy: mesmes ung jour ilz
vindrent
A moy malade, & prisonnier me tindrent,
Faisant arrest sus ung homme arresté
Au lict de mort: et m'eussent pis
traicté,
Si ce ne fust ta grand' bonté, qui à ce
Donna bon ordre avant, que t'en priasse,
Leur commandant de laisser choses telles:
Dont je te rends grâces tres immortelles.
Aultant comme eulx, sans cause, qui soit
bonne,
40 Me veult de mal l'ignorante Sorbonne:
Bien ignorante elle est, d'estre ennemye
De la
trilingue, & noble Academie
Qu'as erigée. Il est tout manifeste,
Que là dedans contre ton vueil celeste
Est deffendu,
qu'on ne voyse allegant
Hebrieu, ny
Grec, ny Latin elegant:
Disant, que
c'est langaige d'Hereticques.
O paovres gens
de sçavoir touts ethicques!
Bien faictes
vray ce proverbe courant,
50 Science n'a
hayneux, que l'ignorant.
Certes, ô Roy, si le profond des cueurs
On veult sonder de ces Sorboniqueurs,
Trouvé sera, que de toy ilz se deulent.
Comment douloir? Mais que grand mal te
veulent,
Dont tu as faict les Lettres, & les Arts
Plus reluysants, que du temps des Cesars:
Car leurs abus voyt on en façon telle.
C'est toy, qui as allumé la chandelle,
Par qui maint oeil voyt mainte verité,
60 Qui soubs espesse, & noyre obscurité,
A faict tant d'ans icy bas demeurance.
Et qu'est il rien plus obscur,
qu'ignorance?
64Eulx, & leur court en absence, & en
face,
Par plusieurs foys m'ont usé de menace:
Dont la plus doulce estoit en criminel.
M'executer.
Que pleust à l'Eternel,
Pour le grand
bien du peuple desolé,
Que leur desir
de mon sang fust saoulé,
Et tant d'abus, dont ilz se sont munys,
Fussent à clair descouverts, & punys.
O quatre foys, & cinq foys bien heureuse
La mort, tant soit cruelle, & rigoreuse,
Qui feroit seulle ung million de vies
Soubs telz abus n'estre plus asservies!
75 Or à ce coup il est bien evident,
Que dessus moy ont une vieille dent,
Quand ne pouvant crime sur moy prouver,
Ont tres bien quis, & tres bien sceu
trouver
Pour me fascher briefve expedition,
En te donnant maulvaise impression
De moy ton serf, pour apres à leur aise
Mieulx mectre à fin leur voulunté
maulvaise:
Et pour ce faire ilz n'ont certes heu
honte
Faire courir de moy vers toy maint
compte,
85 Avecques bruyt plein de propos
menteurs,
Desquelz ilz sont les premiers
inventeurs.
De
Lutheriste ilz m'ont donné le nom:
Qu'à droict ce soit, je leur responds,
que non.
Luther
pour moy des cieulx n'est descendu,
Luther
en Croix n'a pas esté pendu
90 Pour mes pechés: et tout bien advisé,
Au nom de luy ne suis point baptizé:
Baptizé suis au nom, qui tant bien sonne,
Qu'au son de luy le Pere eternel donne
Ce, que l'on quiert: le seul nom soubs
les cieulx
95 En, & par qui ce monde vicieulx
Peult estre sauf. Le nom tant fort
puissant
Qu'il a rendu tout genoil fleschissant,
Soit infernal, soit celeste, ou humain:
100 Le nom, par qui du seigneur Dieu la
main
M'a preservé de ces grands loups rabis,
Qui m'espioyent dessoubs peaulx de
brebis.
O seigneur Dieu, permectez moy de croyre,
Que reservé m'avez à vostre gloyre.
Serpents tortus, & monstres contrefaicts
Certes sont bien à vostre gloyre faicts:
Puis que n'avez voulu doncq'
condescendre,
Que ma chair vile ayt esté mise en
cendre,
Faictes au moins tant, que seray vivant,
Que vostre honneur soit ma plume
escripvant:
Et si ce corps avez predestiné
A estre ung jour par flamme terminé,
Que ce ne soit au moins pour cause folle:
Aincoys pour vous, & pour vostre parolle:
Et vous supply, Pere, que le tourment
Ne luy soit pas donné si vehement,
Que l'âme vienne à mectre en oubliance
Vous, en qui seul gist toute sa fiance:
Si que je puisse avant, que d' assoupir,
120 Vous invocquer, jusqu'au dernier
souspir.
Que dys je? Où suis je? O noble Roy
Françoys,
Pardonne moy, car ailleurs je pensoys.
Pour revenir doncques à mon propos,
Radamanthus avecques ses supposts
Dedans Paris, combien que fusse à Bloys,
Encontre moy faict ses premiers
exploicts,
En saysissant de ses mains violentes
Toutes mes grands richesses excellentes,
Et beaulx thresors d'avarice delivres:
130 C'est assçavoir mes papiers, & mes
livres,
Et mes labeurs. Et Juge sacrilege,
Qui t'a donné ne loy, ne privilege
D'aller toucher, & faire tes massacres
Au cabinet des sainctes Muses sacres?
Bien est il vray, que livres de deffense
On y trouva: mais cela n'est offense
A ung Poëte, à qui on doibt lascher
La bride longue, & rien ne luy cacher,
Soit d'art magicq, nygromance, ou
caballe.
140 Et n'est doctrine escripte, ne
verballe,
Qu'ung vray Poëte au chef ne deust avoir,
Pour faire bien d'escrire son debvoir.
Sçavoir le mal est souvent proffitable,
Mais en user est tousjours evitable:
Et d'aultre part, que me nuist de tout
lire?
Le grand donneur m' donné sens d'eslire
En ces livrets tout cela, qui accorde
Aux sainctz escripts de grâce, & de
concorde:
Et de jecter tout cela, qui differe
Du sacré sens, quand pres on le confere.
Car l'escripture est la touche, où l'on
treuve
Le plus hault Or. Et qui veult faire
espreuve
D'or, quel qu'il soit, il le convient
toucher
A ceste pierre, & bien pres l'approcher
155 De l'Or exquis, qui tant se faict
paroistre,
Que bas, ou hault tout aultre faict
congnoistre.
Le juge doncq' affecté se monstra
En mon endroict, quand des premiers
oultra
Moy, qui estoys absent, & loing des
villes:
160 Où certains folz feirent choses trop
viles,
Et de scandalle, helas au grand ennuy,
Au detriment, & à la mort d'aultruy.
Ce que sachant, pour me justifier,
En ta bonté je m'osay tant fier,
Que hors de Bloys partys pour à toy,
Sire,
Me presenter. Mais quelcun me vint dire,
Si tu y vas, amy, tu n'es pas sage:
Car tu pourroys avoir maulvais visage
De ton Seigneur. Lors comme le Nocher,
Qui pour fuyr le peril d'ung rocher
En pleine mer se destourne tout court:
Ainsi pour vray m'escartay de la court:
Craignant trouver le peril de durté,
Où je n'euz oncq, fors doulceur, &
seurté.
175 Puis je sçavoys, sans que de faict
l'apprinsse,
Qu'à ung subject l'oeil obscur de son
Prince
Est bien la chose en la terre habitable
La plus à craindre, & la moins
souhaitable.
Si m'en allay evitant ce dangier
Non en pays, non à Prince estrangier,
Non point usant de fugitif destour,
Mais pour servir l'aultre Roy à mon tour,
Mon second Maistre, & ta soeur son
espouse,
A qui je fuz des ans a quatre, & douze,
De ta main noble heureusement donné.
Puis tost apres, Royal chef couronné,
Sachant plusieurs de vie trop meilleure,
Que je ne suys, estre bruslés à l'heure
Si durement, que mainte nation
En est tombée en admiration,
J'abandonnay sans avoir commys crime
L'ingrate France, ingrate ingratissime
A son Poëte: et en le delaissant,
Fort grand regret ne vint mon cueur
blessant.
195 Tu ments Marot, grand regret tu
sentys,
Quand tu pensas à tes Enfants petits.
En fin passay les grands froides
montaignes,
Et vins entrer aux Lombardes campaignes:
Puis en l'Itale, où Dieu qui me guydoit,
200 Dressa mes pas au lieu, où residoit
De ton clair sang une Princesse humaine,
Ta belle soeur, & cousine germaine,
Fille du Roy tant craint, & renommé,
Pere du peuple aux Chroniques nommé.
205 En sa Duché de Ferrare venu,
M'a retiré de grâce, & retenu,
Pource que bien luy plaist mon
escripture,
Et pour aultant que suys ta nourriture.
Parquoy, ô Sire, estant avecques elle,
210 Conclure puis d'ung franc cueur, &
vray zelle,
Qu'à moy ton serf ne peult estre donné
Reproche aulcun, que t'aye abandonné,
En protestant, si je perds ton service,
Qu'il vient plus tost de malheur, que de
vice.